vendredi 20 mai 2011

Life moving on

Mai 2011.

Voilà que 3 longues années d'apprentissage s'achèvent.

Les 25 ans frappent à ma porte.

Je suis anxieuse. Je suis apaisée pourtant.
A la croisée de mille sentiments.

Je regarde ces trois années si éreintantes, durant lesquelles je me suis sentie en constante métamorphose. En septembre 2008, j'étais cette apprentie timorée maigrichonne, qui ne savait pas trop encore comment creuser son trou là dedans,

et puis j'ai repris du poil de la bête, je me suis musclée, et j'ai appris à travailler, à bien travailler, à
considérer mon travail, à faire confiance à mes mains,

mes mains ont appris. Mes mains rugueuses et écorchées.
Tous les dimanches devant mes bobos mon papa est affligé. Affligé de voir ce que deviennent mes mains, mes jolies mains. Je n'aurai plus jamais des mains douces de princesse, j'aurai les mains de l'artisan du matin. Des mains devenues dures de caresser la pâte - si douce pourtant.

Trois années à côtoyer un monde masculin, trois années où à l'école comme au fournil j'ai été la seule fille. Paumée au milieu des discussions de foot et de cul.
Paumée au milieu des fautes de français et des fautes de goût, à me dire que quelque chose de plus beau et de plus grand arriverait - indubitablement, il le fallait.
Paumée entre des livres qui s'étaient refermés les uns après les autres et des pages qui ne parvenaient plus à s'écrire. Oui, je me suis éloignée de ce monde de lettres, mais je l'ai senti se refermer à moi. Incapable de me remettre à lire ou à écrire correctement, je me suis perdue au milieu de moi-même.
Et ça m'a fait très peur. J'ai eu peur d'être devenue une autre, d'avoir pris le mauvais chemin. Je ne me reconnaissais plus dans aucun groupe...

et j'ai encore peur aujourd'hui parfois - souvent.



Mais que serait une vie sans risque et sans peur ?
Ne s'y niche pas toute source d'adrénaline...?

Les mois sont passés, à force de m'obstiner, j'ai appris. J'ai appris à réussir une fois les croissants, puis à les réussir une 2° fois, à passer de la margarine au beurre, à les faire de plus en plus réguliers. A comprendre la texture du beurre, à sentir la pâte sous mon rouleau, à ne pas trop la manipuler, à ne pas violenter les feuillets si fragile de la viennoiserie à la française.
La viennoiserie... ma plus grande fierté...







J'ai appris - j'apprends encore, à façonner la tradition avec douceur, à ne pas la malmener, à faire confiance à sa force sans lui en donner trop.
Je ne comprends toujours pas comment un métier qui exige une telle sensibilité (sensualité ?) du toucher soit exclusivement fait par des brutes épaisses.



Les mois sont passés... j'ai appris à avoir du caractère, à être "la boulangère" sans autre qualificatif
(je n'oublierai jamais cette conversation téléphonique entre le nouveau patron de mon ancienne boîte et Karim, à l'époque où je voulais rompre mon contrat, et où personne ne voulait signer cette rupture : "oui allô ? Je suis avec la ptite boulangère là". La ptite boulangère, ce n'était pas la peine de dire Marie, c'était suffisant)
Oui je suis devenue la boulangère. Marie la boulangère
Marie qui a son caractère et qui ouvre un peu sa gueule. Marie qui aime comprendre les fermentations et qui a besoin de réponses intelligentes de boulangers intelligents.

J'en ai rencontré.
Deux.

Ils m'ont aidée (sans le savoir ?), ils m'ont appris à avoir confiance. Il y a toujours des personnes sur la route qui vous marqunte et vous font grandir. Ils ne vous portent pas, non, ils vous montrent simplement à la lumière de leur bougie où est la petite marche sur laquelle il faut grimper pour mieux voir, pour être plus à l'aise.
Il y a eu D. Il y a eu S.
Je ne sais pas encore comment leur dire ma reconnaissance.

Les mois sont passés, et j'ai appris à reconstruire une vie à côté du fournil, à ne plus penser farine, respirer boulange. A me remettre à sortir, à me balader, à aller au théâtre, à jouer au clown, à jouer Marivaux,


Les mois sont passés, j'ai appris à apprécier le bon pain. J'ai appris ce métier
Les mois sont passés et je suis devenue incapable de passer un repas sans pain, j'en suis aujourd'hui totalement dépendante. Je pensais que je m'en lasserais. Il n'en est rien. Chaque jour ses arômes me séduisent et m'étonnent. Chaque jour, oui chaque jour ils me surprennent !




J'ai 25 ans, l'avenir m'excite
et il m'effraie tant.

Ces trois années étaient-elles un jeu en attendant mieux...?
Où sont-elles véritablement les premiers pavés de la route du pain... où va cette route... j'ai encore besoin d'un GPS, d'une carte

qui m'épaule et me guide.

alors je pourrai marcher, trébucher, me relever

et sourire.
Et mettre ma main dans toutes celles de ceux qui m'accompagneront.

Je l'aime, je l'aime tant, la vie qui m'attend.







4 commentaires:

Cocotine a dit…

Après 5 nuits en boulangerie (c'est si peu et tant à la fois), j'ai compris tous tes mots. Tu peux être fière de toi et de ton métier. La vie est devant toi et avec l'or que tu as dans les doigts et une tête si bien construite, tu peux conquérir le monde !

Alfred a dit…

Le temps apaise nos antagonismes intérieurs : il n'est pas besoin d'être Dr. Jekyll pour porter différents projets, surtout si on peut les réconcilier à l'âge de la maturité - 25 ans, ton premier quart de siècle.

Con-con : ni complaisance ni condescendance. Le pain se marie avec la littérature : c'est le génie de notre France éternelle. Comme les autres arts de la table avec l'industrie automobile. Embrasser large, au coeur de l'autre con-con, la version originale.

Ne pas fuir la nostalgie, car le temps passe, mais l'apprivoiser avec les projets.

Félicitations pour une pensée cristalline, ciselée dans un univers rustique.

chaussures air max ltd a dit…

Je m’applique également à tuer les plantes vertes, même en essayant de pas le faire. Alors le levain, j’ai décidé de tirer une croix dessus… en même temps, je déménage tous les 6 mois donc bon :/

En attendant, j’ai déjà croisé le soda bread plein de fois, et il m’intrigue à mort.. Je crois que je testerais bientôt, pour le petit déjeuner :D

béné a dit…

un très grand merci pour ce partage de vie... Cela faisait longtemps que je n'avais pas mis les pieds chez toi et tout m'est revenu... une bonne odeur... Quel plaisir.
Alors je te souhaite bonne chance, toi l'inconnue que je ne connais pas mais que je prends plaisir à lire de temps à autres.
Au plaisir
Biz
béné