samedi 6 septembre 2008

Apprentie

... apprentie, c'est ce que je suis devenue...

C'est un exercice difficile. Il faut ravaler quatre années d'études et recommencer à zéro, autre part, autrement. Humilité.
Ce n'est pas Damien qui s'occupe de moi, c'est José. Il a un bon fond, José, ça se sent bien. Il a parfois des moments plus doux que d'autres, où il me rassure en me disant "nan mais quand tu sauras faire ça vite, ce sera de la rigolade". Oui, mais José, il gueule trop. Tout le temps, tout le temps. Mais moi j'ai besoin qu'on me montre; tout simplement. Qu'on m'explique, et qu'on prenne le temps de m'expliquer - attentivement.

Dans ce monde de bourrins, c'est dur de faire 1m54. Bilan après une semaine : un dos bloqué et une ordonnance avec 2 séances de kiné par semaine, un doigt entaillé, des ongles tout abimés, des mains toutes égratignées, une côté éclatée en glissant dans l'escalier de tout mon long.
Bilan de la semaine : je suis excessivement lente. Oui, je sais.

Lundi : "Tiens tu fais les fougasses Marie ?"
Une heure après, les fougasses sont achevées, je suis fière. "On met un quart d'heure Marie normalement pour les fougasses".
L'apprentie fait des fougasses moches et oublie la moitié de la farine pour les boules bio au levain. Que va penser le client ? Rachètera t-il le même pain s'il le croit désormais raté ? Voudra t-il encore des chocopains alors qu'ils sont bien moins beaux et moins garnis qu'en juillet ?
L'apprentie a tout de même un poids sur la conscience, le soir, après sa journée de travail : est-ce que le client qui a goûté un pain mal façonné changera de boulangerie ?

Mardi : j'ai l'impression de ne pas faire de gaffe - impression seulement. Le lendemain, j'apprends que ma pâte sucrée est complètement ratée. Visiblement, j'ai oublié la farine. Damien doit tout refaire.

Chaque jour je rafraichis le levain avec la mauvaise farine. Je ne le réalise qu'aujourd'hui, samedi. Alors, quel goût avaient tous les pains au levain ? Les boules bio ? Les polka ? Les mendiants ?

Quand je sens la pâte du viennois, du complet, du pain de mie. La pâte à baguette, la pâte des boules bio; je trouve que c'est doux, que ça sent bon. Oui je suis lente, mais c'est parce que c'est si beau la pâte. Pourquoi la couper si vite quand on peut la caresser...?

José, il me demande pourquoi je fais de la boulangerie avec un bac +4. Il ne comprend pas. Il me dit que ça ne paye pas beaucoup. Mais si je me suis lancée là-dedans, c'est aussi par amour pour cet ingrédient roi, ce "fruit de la terre et du travail des hommes"; le pain me séduit.
Oui c'est difficile. Oui le matin, il faut mettre le réveil à 3h15 et affronter la nuit et le froid. La pause met du temps à arriver, parfois on n'a pas même le temps de la prendre. Oui il faut se coucher à 19h et oublier sa vie sociale. C'est dur, d'apprendre, d'être apprentie.
Mais ça sent si bon, et c'est tellement beau.
Une histoire d'amour, peut-être.

Il faut du courage tout de même.

2 commentaires:

clairpou a dit…

Cela ne m'inspire que du respect !!
Je suis sur Paris à partir du 9 septembre alors si t'as vie sociale a un petit moment à m'accorder je serais ravis, sinon peut-être que je viendrais gouter ton travail !
Bisous

Anonyme a dit…

tu sais que ce n'est qu'en lisant cet article que je realise que, peut etre, le blé que mon papa a mis un an a faire murir et pousser.. c'est toi, la petite parisienne qui le transforme en merveilleux pain qui "sent bon"

Etrange la vie ...je ne le repeterais jamais assez mais tu fais un très beau metier et ooooh combien je suis fière de toi ma petite Libanaise !
courage, patience .. et pourquoi pas lenteur .. tout ca te meneras bien loin ... j'en ai l'intime conviction !